samedi 11 décembre 2010

Les textes de Pierre

Les 31 premiers textes de Pierre à l'atelier : clic

Dans la vie, il y a...
Dans la vie il y a les mecs qui pensent et les mecs qui dépensent, c'est pas plus compliqué que ça.
Les mecs qui pensent sont en haut du panier et les mecs qui dépensent sont au fond du panier.
Et plus le temps passe, plus le panier s'agrandit, c'est pas plus compliqué que ça.
Quand le panier est plein, les mecs qui pensent le vide et les mecs qui dépensent se dépêchent de le remplir, c'est pas plus compliquer que ça.
Quand les mecs qui dépensent ne dépensent plus, les mecs qui pensent leur donnent des idées pour qu'ils dépensent de nouveau et ça marche, c'est pas plus compliqué que ça.

Les mecs qui pensent, je peux pas les voir. A force de penser, ils nous empêchent de vivre. Car vivre, c'est ne pas penser, c'est pas plus compliquer que ça.
Les mecs qui pensent se croient intelligents. Moi, je pense qu'en fait ils se cachent derrière des mots incompréhensibles pour épater le péquin. C'est pas plus compliqué que ça.
Les mecs qui pensent ont des cheveux longs, de grandes barbes, sont gros et pâles, c'est affreux à voir et boivent de l'eau, c'est pas plus compliqué que ça.
Les mecs qui pensent, ça m'énerve, c'est pas plus compliqué que ça.
Les mecs qui pensent ont de belles femmes et ça m'énerve, c'est pas plus compliqué que ça.

Les mecs qui dépensent, c'est des mecs sympa. Ils rigolent et se tapent sur le ventre en rotant, c'est pas plus compliqué que ça.
Les mecs qui dépensent, c'est des gens que j'aime bien parce que c'est eux qui m'offrent l'apéro ou le café, c'est pas plus compliqué que ça.
Les mecs qui dépensent, ils ne lisent pas parce que ça abime les yeux, c'est pas plus compliqué que ça.
Les mecs qui dépensent, ils aiment bien les bagnoles parce que les filles elles aiment ça, un mec avec une bagnole, c'est pas plus compliquer que ça.

Moi, je ne fais partie ni des mecs qui pensent, ni des mecs qui dépensent.

Moi, je suis Anastase Hasbinette et ma vie vie c'est de me tenir à l'écart de ceux qui pensent comme de ceux qui dépensent, c'est pas plus compliqué que ça.
Car ceux qui pensent s'usent à ne pas dépenser et ceux qui dépensent s'usent à ne pas penser, moi j'ai autre chose à faire, c'est pas plus compliqué que ça.
Moi, je veux m'économiser et non économiser.
Moi, je veux vivre la tête libre, sans contraintes, sans obligations, assis au pied de mon chêne à regarder les couchers de soleil, c'est pas plus compliqué que ça.
Moi, je ne veux pas faire d'études car ça m'obligerai à penser, c'est pas plus compliqué que ça.
Moi, je ne veux pas travailler dans une usine, ça déforme le corps et ça donne des maladies, c'est pas plus compliqué que ça.
Ma vie, c'est un peu tout ça et bien d'autres choses que je garde pour moi, c'est pas plus compliqué que ça.
  
J'aurai pu devenir un mec qui pense, parait-il, mais heureusement le destin en a décidé autrement. C'était pourtant bien parti, au dire de mes parents. J'étais brillant à l'école et ce dès le primaire. Ma vie semblait toute tracée. Les mathématiques étaient pour moi aussi facile que l'apprentissage des langues étrangères. J'avais une mémoire d'éléphant et une clarté d'esprit qui me permettaient d'évoluer deux fois plus vite que mes camarades les plus doués. Arrivé au lycée, je me trouvais alors dans un environnement qui commença à me déplaire en la personne du professeur de français. J'avais jusqu'alors eu d'excellent note. Brusquement le vent tourna car ce professeur me prit en grippe dès le début et cela alla en s'accentuant au fils des mois. Durant l'hiver, il y eut pas mal de neige et de verglas. Dans le cour du lycée, il y avait un endroit où les chéneaux de la toiture étaient en mauvais état. Cela avait provoqué la formation d'une belle patinoire à la sortie du préau. Et ce jour là, notre professeur de français était là, debout dans ce secteur. Il y eut une bousculade dont je fut à l'origine, un peu par provocation car je voyais dans son regard de l'ironie. Cela se passa très rapidement et dans les secondes qui suivirent, notre prof fut sans connaissance, au pied de l'un des piliers du préau. Sa tête avait heurté violemment l'angle d'un pilier, il était dans un coma qui devait durer des années années, c'est pas plus compliqué que ça.

Un peu plus tard, j'ai failli devenir un mec qui dépense mais là encore, le destin veillait. Après cette histoire avec le coma du professeur, je fut exclus du lycée. Ce fut le début d'une remise en question. Je me suis dit que le fait de penser m'empêchait d'avoir des problèmes, même de peut-être parfois les provoquer. Ce prof de français qui se vantait de penser, d'en être fière au point de mépriser les autres, cela j'avais décidé de ne pas en faire partie. Je serais dons un mec qui ne pense pas et pour cela je devais adopter une attitude opposée. Je serai donc un mec qui dépense. J'avais lancé ça comme une bravade, une provocation facile sur un jeu de mot bancale.
Que devrai-je faire pour être un mec qui dépense ?
Je fréquentais alors les cafés, les boites de nuits, les plages, les stades de sports en tous genres. C'est le foot qui devint mon sport de prédilection. Mais je devais avec une tête qui ne convenait pas à certain. Un jour il y eut un match qui tourna très vite au vinaigre. J'étais pour les verts et face ceux pour les bleus. Comme les verts étaient en train de gagner, des bleus survoltés ont envahi notre secteur et ce fut la bagarre générale. Je me retrouvais quelques heures plus tard à l'hôpital avec quatre côtes cassées, cinq dents en moins, une arcade ouverte, un genoux déboité, une main écrasée avec cinq doigts en mauvais état et la cerise sur le gâteau, le foie éclaté. Je dus rester six mois à l'hôpital et une année de rééducation. J'ai cru que j'allais y rester, c'est pas plus compliqué que ça.

Moi, Anastase Hasbinette, je suis ni un mec qui pense ni un mec qui dépense et pour le prouver, je vais vous raconter ce que je suis devenu après mon séjour à l'hôpital. Je me suis engagé dans la Légion Étrangère. Ainsi, je me suis dis que j'apprendrai à ne pas penser et que je ne dépenserai pas puisqu'il n'y a rien à dépenser à la Légion. Comme j'étais un bon élève, je pris rapidement du galon. Le colonel m'avait à la bonne et je pus devenir un sous-officier. J'étais très occupé par ma position et mon désir de me faire bien voir. Je continuais à progresser dans la non-pensée et je me gardais de dépenser ma solde pour quand je sortirai.
C'est ainsi que je pris l'habitude de vivre en marge de la société. Je fus envoyer en mission en Afrique et ce fut une découverte pour moi. J'y pris goût et à la fin de mon engagement, je décidais d'y rester. Très vite je me coulais dans la société locale et dans ses us et coutumes. C'est ainsi que je me retrouvais à vivre avec cinq femmes qui pensaient et dépensaient pour moi. Je pouvais admirer les couchers de soleil assis sous un catalpa, avec ma pension d'invalide obtenu grâce à quelques subterfuges et mes économies de légionnaire, c'est pas plus compliqué que ça.

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Parcours de vie photographique.

Chère vous,

Votre silence m'incite à vous écrire. Vous m'aviez promis de vos nouvelles rapidement mais les mois passent et je n'ai rien vu venir. Je veux croire qu'il ne vous soit rien arriver de grave, que c'est mon imagination qui m'amène à des interrogations sans fondements. A vrai dire, c'est parce que je mettais de l'ordre dans mes papiers que je ma suis décidé à cette écriture car j'ai retrouvé une enveloppe de photos, que je croyais perdu, et dont la vue m'a remémoré des instants que nous avions vécu ensemble. Cela m'a d'autant surpris qu'elles étaient au milieu d'autres photos qui ne nous concerne pas. Je me demandais d'ailleurs ce qu'elles faisaient là, parmi des photos professionnelles. C'est étrange car je n'ai aucun souvenir me permettant de reconstituer ce qui a pu faire que ces photos se trouvent rassembler. Mais peut-être avez vous la réponse, peut-être que votre mémoire que je sais monstrueuse, contrairement à la mienne, va éclairer ma lanterne.
Toujours est-il que le fait de revoir ces photos, des souvenirs ont soudain ressurgi.
Vous souvenez-vous de notre première rencontre, cet instant magique qui qui nous a emportés ? Et bien, vous me croirez si vous voulez, mais j'ai là sous les yeux cette photo.
C'était à l'Alliance Française du Boulevard Raspail. Vous, pour approfondir votre français, moi pour tout simplement y venir pour déjeuner, les tarifs au resto étant des plus attractifs. Autour d'un café, nos regards se sont croisés. Il y a eu un déclic, une flamme qui ne nous a plus quitté durant des mois. D'ailleurs en voyant une seconde photo de la plage de Deauville, plus exactement des planches bordant la plage, il s'avère que c'est là que nous nous sommes retrouvés quelques jours plus tard, un peu par hasard. Vous alliez vers l'est, j'allais vers l'ouest. Vous, sortant d'un café pour aller à Trouville, moi venant de la jeté de Trouville pour aller à un rendez-vous professionnel de l'autre côté de Deauville. Nos corps se croisaient alors après nos regards et il se passa ce que vous savez. Cette carte postale de Deauville, vous me l'envoyâmes quelques jours après et à la suite de quoi je vous proposais de nous revoir. Vous ne me croirez peut-être pas mais j'ai entre les mains la troisième photo qui m'est venue, celle où nous avons été photographié devant la Coupole par ce jeune qui parcourait le trottoir avec son Polaroïd, ce genre de photographe que ni vous, ni moi portions dans nos cœurs et cependant il devait ce jour-là immortaliser l'un des moments que l'on dit exceptionnel, à savoir le plus beau jours de notre vie. Celui du début de notre aventure amoureuse sous les plafonds peints de cette célèbre brasserie, entourés de mille yeux mais seul au monde. Nous n'avions d'yeux que pour nous-même. Nous buvions nos paroles. Il y avait de l'électricité dans l'air, je m'en souviens comme si c'était hier. Nous étions sur notre petit nuage et d'ailleurs c'est bien l'impression que donne cette photo qui, malgré sa médiocre qualité, laisse apparaître l'état dans lequel nous étions.
Au point où j'en étais, je me suis laissé aller à continuer ma pioche dans le paquet de photos. Elle est de très bonne qualité cette fois mais cependant elle est comme qui dirait, flou.
Mais, je dois m'avouer qu'il s'agit de ma mémoire.
Je n'arrive pas à mettre un nom sur le lieu où elle a été prise. C'est un bord de mer sans grand intérêt, une plage quelconque et le temps est gris. Quelque part entre la Manche et l'Atlantique, je pense.
Mais qui a bien pu prendre cette photo ? Un copain, une amie, un touriste de passage ? Nous avons une mine défaite à l'image du temps. Les embruns nous enveloppent et n'arrivent pas à nettoyer notre vague à l'âme. Oui, nos âmes ont l'air de naviguer sur une mer démontée, mais je ne sais plus si cela fut les prémices de notre dérive.
De dérives en dérives, nous nous sommes éloignés puis retrouvés pour de nouveau nous éloigner nombre de fois mais toujours avec ce désir de nous retrouver.
Votre silence me dit que peut-être, cette fois il n'y aurait pas de retour ? Et s'il en est ainsi, je dois vous dire alors un secret, qui n'est pas de famille mais un secret qui nous concerne.
Je ne vous l'ai jamais dit, mais lors de notre première rencontre, je venais de terminer un roman dont l'héroïne était comme la copie conforme de cette jeune femme qui venait à moi dans le hall de l'Alliance Française. Je n'en croyais pas mes yeux mais n'en dis rien de crainte d'être ridicule. Mais maintenant je dois me rendre à l'évidence, cela m'a joué un vilain tour car j'ai cru en ce double et je vous ai pas vraiment vu telle que vous étiez. Ce fut un beau rêve mais ce n'est, me semble-t-il, que cela.
Votre silence, s'il persiste, me donnera confirmation que ce fut bien un rêve, un doux rêve qui s'achève.
Je vous écris cela alors que j'ai en mains une vieille photo de famille où l'on voit l'une de mes tantes qui vécu un amour semblable au notre à l'insu de sa famille. Cela nous fut révélé lors de son divorce et de son départ avec son amant. Nous n'avons pas de contrainte de famille, seulement celles de notre imaginaire qui peut, lui, être tout aussi destructeur. Qu'en dites-vous, ma chère Lisa ? Allez-vous me faire mentir et comme à votre habitude me provoquer en arrivant à l'improviste comme vous en avez le secret ? Si tel peut être le cas, j'espère que vous ne vous presserez pas trop de manière à avoir cette lettre auparavant, histoire d'en rire ensuite. 

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1 commentaire:

  1. bien, Pierre, la fin de la lettre. J'aime bien cette idée du gars qui attend qu'une seule chose : le retour de cette femme, et qui cependant lui dit de ne pas trop se presser !
    Quelques coquilles qu'il faudrait corriger, je eux le faire, si grand Chef Marc me re-re-re-explique comment aller jusqu'aux textes déjà en ligne

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