lundi 22 novembre 2010

Un texte de Paul

J’AI VU TANT ET TEMPS

J’ai vu une voyante, j’ai vu un O.V.N.I, j’ai vu une souris, j’ai vu ta sœur.
J’ai vu une silhouette, j’ai vu une salope, j’ai vue une salopette, j’ai vu ta sœur
J’ai vu un canon, j’ai vu une nonne, j’ai vu une conne, j’ai vu ta sœur.
J’ai vu un peu vite, j’ai vu où t’habites, j’ai vu ta chatte, j’ai vu ta sœur.
J’ai vu le roi Ubu, j’ai vu qu’t’ as trop bu, j’ai vu Honolulu, j’ai vu ta sœur.

J’ai entendu d’elle, qu’elle chantait les soirs d’été sous les peupliers des jardins d’Albertas.
Que les  silences se plaisaient à s’orner par ses douces mélodies, jusqu’à réconcilier les hommes ingrats et les femmes infidèles…

J’ai vu un indien, j’ai vu un canadien, j’ai vu un amérindien, j’ai vu ta mère.
J’ai vu un livre, j’ai vu un litre, j’ai un titre, j’ai vu ta mère.
J’ai vu un palace, j’ai vu une limace, j’ai vu un rapace, j’ai vu ta mère.
J’ai vu une histoire, j’ai vu une belle histoire, j’ai vu une grande histoire, j’ai vu ta mère.
J’ai vu comment, j’ai vu pourquoi, j’ai vu pour qui, j’ai vu ta mère.

Une de mes plus belles réussites, aura été d’éviter des conflits où il y aurait eu lieu d’en avoir.
De ne pas en avoir eu, là où il n’y avait pas lieu d’en avoir, non plus.
La vie a son mystère…la forêt sa bruyère…

J’ai vu une corde, j’ai vu un cou, j’ai vu une pendue, j’ai vu ta sœur.
J’ai vu ton pardessus, j’ai perdu deux petits sous, j’ai vu tes jolis dessous, j’ai vu ta sœur.
J’ai vu une misère, j’ai vu ma misère, j’ai vu la misère, j’ai vu ta sœur et ta mère.
J’ai vu un bonheur, j’ai vu la bonne heure, j’ai vu la bonne toute à l’heure, je n’ai pas vu ta sœur.

Je voulais car je ne savais pas. Je ne savais pas ce que je voulais. Je savais ce que je ne voulais pas. Puis à  trop vouloir savoir ce que je ne voulais pas, je savais encore moins et je n’en voulais plus. Alors je m’en voulais de ne pas savoir que faire. Je me cachais pendant des années dans ces longues réflexions ; pourtant les yeux de ma mère voyaient tout…

J’ai vu passer Mirza, j’ai vu passer ce chien, oh la la la lala.
J’ai vu Aline, j’ai vu crier Christophe, j’ai vu qu’il avait trop de peine.
J’ai vu les sucettes d’Annie, j’ai vu les sucettes à l’anis d’Annie, j’ai vu son sex-appeal.
J’ai vu son joujou extra, j’ai vu qu’il n’avait pas de piles. J’ai vu qu’il n’avait pas de poils.
J’ai vu les neiges du Kilimandjaro, j’ai vu les neiges du Fuji-Yama, j’ai vu les neiges éternelles.

Sur la dalle de marbre blanc qui me couvrira, vous écrierez en épitaphe : « heureux comme j’ai été… »…Un été…Oui une belle nuit d’été…

Paul Dahan     Novembre 2010
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mardi 16 novembre 2010

15 novembre : La rumeur

       La rumeur
                                        

La rumeur…    Une jalouse vengeresse…
La réalité… Le triomphe de l’amour…
Une seule personne aurait pu…Mais tu n’as jamais pardonné…

Enfants, nous étions beaux et inattaquables.
Pour le meilleur, sans savoir où était le pire.
 Enfants, étions nous si innocents ?

Croire…Prier…Le paradis…Le purgatoire…

« Trahison, trahison »…
Je criai révolté…à qui voulait m’entendre.
 La tentation est puissante comme la foudre…

Quand elle vous tombe sur la tête, vous êtes foudroyé.
Foudroyé… Foudroyé…Foudroyé…
Moi fou d’elle… Elle fou de moi… Toi fou d’elle…Elle fou de toi…

Bien avant le grand Amour, nous aimions déjà…
Comme sèment les enfants avec des cailloux…
A tâtons …à tâtons…
Joli petit Poucet…

Enfants, nous étions beaux et inattaquables.
Pour le meilleur sans savoir où était le pire.
Enfants, étions nous si innocents ?

A t’on le droit d’ignorer, d’effacer…nos serments… nos trésors
Du jardin de notre enfance…
Il fleurit le printemps venu…Vénus drapée de lys blancs au pied de ton lit…
Vénus aux  parfums éphémères… des jardins suspendus de Syracuse.

Elle est apparue dans nos cœurs…l’amour à ses rancœurs…
Nous étions deux, nous étions Di-eu…nous étions trois…

Tous nos secrets ; ceux que l’on garde, ceux que l’on partage, ceux que l’on cache…
Ceux que l’on ignore…toi…moi…elle…

La rumeur partira… l’éclair s’en est allé… le ciel a lâché son cri…
Lune croissante …L’une sans l’autre…
Brille, brille…
Tel un soleil dans mes nuits de grands froids…

Je chante… je danse…je te pardonne…
Mon frère, mon ami, mon assassin…

Enfants nous étions, beaux et inattaquables…
Pour le meilleur…sans savoir où était le pire…
Enfants, étions nous si innocents?…


                                                Paul Dahan  Novembre2010
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Derrière la rumeur

La rumeur disait que Bernard, sous son apparente gentillesse, était en réalité un affreux égoïste, incapable de tenir ses engagements, un dangereux séducteur. Bien souvent ses amis lui disait qu’il est bien beau de vouloir ne rejeter personne mais que c’est aussi ne pas savoir choisir, et s’engager dans la voie des difficultés sans fin ou qui finissent mal. 
Alors, Bernard essayait tant bien que mal d’être sincère et vrai. Mais, dès qu’il se retrouvait seul, il se plongeait dans sa messagerie sur Internet et entretenait des relations virtuelles qui lui donnaient l’impression d’être en bon contact avec tout un environnement affectueux ou amical. Il se donnait la possibilité de se créer un personnage adapté à ses différents correspondants. La frénésie amoureuse de Bernard, et chacun le savait, car tout se sait, surtout sur internet où il ne cache rien, était donc déplacée mais pas éteinte... et la rumeur s'en donnait à cœur joie !
La seule personne qui aurait pu faire taire la rumeur était André Charles. Ies deux hommes se connaissaient depuis toujours. André Charles disait que leurs mères respectives tricotaient ensemble leur layette en papotant. Ils avaient fréquenté la même maternelle et la même école Pasteur mais en rentrant dans le secondaire leurs voies s'étaient séparées et c’est là le drame. Bernard fréquentait Albert de Mun et André Charles était pensionnaire à Avon chez les frères des écoles chrétiennes.
Ce dernier n’était pas malheureux dans son internat, il faisait partie d’une équipe de volley qui se déplaçait pour disputer des matches dans toute la région et il avait tissé des liens forts avec ses camarades.

Bernard, lui, n’avait pas vraiment de copains, mais il revenait tous les jours pour déjeuner à la maison en vélo par le Bois de Vincennes et de même le soir après l’école ; ce qui ne lui faisait pas loin de vingt kilomètres par jour.  Et c’est ce qu’André Charles, qui lui ne pouvait rentrer chez lui qu’une fois par mois ou pour les vacances, ne lui pardonnait pas.

On aurait pu croire que cette trahison bien involontaire de Bernard n’était rien par rapport à tout ce qui liait les deux jeunes hommes. Même cette relation qu’André Charles avait commencée avec Sophie n’entamait apparemment pas leur bonne entente.
Que de longs moments ils passaient à se raconter leurs histoires de jeunes adolescents qui découvrent le monde adulte ! Mais dés qu'ils se séparaient, chacun ruminait dans son coin.  André Charles jalousait la vie d'externe de Bernard. Et Bernard bavait d’envie en écoutant les aventures amoureuses d’André Charles et ses exploits au volley, ses acrobaties pour aller chercher des balles  en dehors du terrain et les resservir pour les smashes des plus grands ; il s’était acquis une réputation d’excellent passeur malgré son petit doigt, crochu de naissance.
Ils se sont retrouvés au lycée que Bernard a rejoint pour ensemble tripler une première. André Charles avait quitté l’internat  pour arriver faire la troisième dans cet établissement, il y avait rencontré Sophie et en a fait plus tard sa compagne qu’il n’a jamais quittée.
Les deux larrons étaient inséparables, ils partageaient leurs loisirs et leurs problèmes de maths, leurs meilleurs souvenirs étaient encore ces parties interminables qu’ils faisaient au tennis dès qu’ils pouvaient s’échapper. Que voulez vous ils avaient bien d’autres soucis en tête plutôt que de travailler à préparer leurs examens !

Aujourd’hui, alors que Bernard tente de se dépêtrer dans ses histoires amoureuses il repense à l’époque où il soutenait André Charles qui cherchait à se marier avec Sophie. Ils n’avaient pas fini leurs études, pas de situation et lui devait partir au Service militaire car le sursis dont il avait longtemps demandé la prolongation devait expirer. Bernard les accompagnaient, discutaient avec eux et leurs parents et ils ont réalisé leur mariage. Il a même été choisi pour être le parrain de leur premier enfant.

En fait si la rumeur tente de faire croire que Bernard est incapable de tenir ses engagements, lui-même n’y prête pas attention. Il sait d’où lui vient cette tristesse cachée au fond de lui-même et qui l’empêche de créer des relations durables et vraies. Il a devant lui, chaque jour, et cela le démolit un peu plus, l'exemple de André Charles ... Tel que Bernard le voit, André Charles est  toujours sûr de son bon droit, il se permet de jeter un œil critique sur les gauchistes révolutionnaires. Il a cette tranquille assurance, et cette constance que donnent une enfance facile et une maturité acquise dans un cocon familial apportant la  sécurité. Car André Charles a eu un père et une mère présents et aimants.

Lui, Bernard n’a jamais connu son père qui est mort d’un accident de montagne alors qu’il n’avait que quelques mois.
Cette absence de modèle paternel a fait de lui un homme fragile, mal à l'aise avec ses congénères, surtout de sexe opposé. Alors, pour donner le change, avec sa gentillesse excessive peut-être,  il joue avec le cœur des femmes tout en admirant, secrètement, les couples fidèles.
texte de Marc (revu par Nicole)

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vendredi 12 novembre 2010

L'atelier du 8 novembre

L'oubli

La vraie tendresse, la fidèle amitié passent parfois pour d’incroyables légendes tant nous surmontons mal notre gêne face à l’affectif. La tendresse et l’amitié vivent désormais, comme le monde, à flux tendus. La vitesse les émiette, la distance les brise et le temps les achève. Il en subsiste des éclats, des perles, des brimborions bons tout juste à fournir la collection de souvenirs discontinus qui jalonnent la mémoire, traçant de plus en plus mal, dans l’ombre, la voie lumineuse qui remonte à l’enfance.
Gilbert Denoise, lui, rejetait des sentiments si fugaces. L’insouciance et l’oubli le consternaient, le poussait à renoncer à ce qui lui semblait fragile, aléatoire, soumis à trop de circonstances. Pourtant, il avait aimé, dans sa jeunesse. Mais les filles, comme par magie, s’effaçaient de sa vie au hasard d’un changement d’adresse, d’un nouveau job, d’une rencontre ou d’un voyage. Les amis aussi, prodigues un temps en confidences, en coups de fil, en cartes postales... Il lui semblait vivre en clochard de luxe sur la place publique d’un village mondial. L’amour et l’amitié n’y étaient que pacotille, lampions et guirlandes accrochés au ciel d’une fête perpétuelle qu’assombrissait pourtant les périls de crise économique, de réchauffement climatique et de mise en charpie de la nature.
Il avait bien failli renoncer à l’invitation du Docteur Salperwick qui tenait à le voir honorer de sa présence le vernissage de son exposition. Et alors, il n’aurait pas rencontré Aline Rochefort. Petite, blonde, vêtue d’une simple robe noire, elle se tenait devant le portrait d’une femme de marin. C’était en vain que la femme du professeur Scholtès la tirait par la manche en désignant d’autres œuvres, des portraits pour la plupart. Aline demeura plus d’un quart d’heure devant cette Bretonne qui regardait la mer tandis que Gilbert regardait Aline. Autour d’eux, tournaient les plateaux et les flûtes de champagne. Autour d’eux se faisaient et se défaisaient les groupes. Autour d’eux la ville, autour d’eux le monde. Etrange paix de l’œil du cyclone…
Enfin, Aline se tourna vers Gilbert.
-- Savez-vous tout ce que ce tableau me rappelle ? Toute une adolescence au bord de la mer d’Iroise, des côtes sauvages, des milliers de vagues d’un bleu intense sous un ciel clair et des trombes de pluie. Il me semble que je ne cesse d’y être immergée. Je perçois encore le crissement des coquillages brisés et la rugosité du sable sous mes pieds nus. Et le bruit de la houle et les cris des mouettes.
Gilbert lui avoua que le visage de cette femme de marin lui inspirait une mélancolie sans objet comme s’il lui rappelait un amour oublié. La présence d’ Aline en avait tout effacé de sa mémoire, sauf un énigmatique sentiment. Il comprit, à ce jour, qu’il était, autant qu’un autre, capable d’oubli.
Aujourd’hui, le nouvel amour a fait fuir toutes les promesses de péché que ce mode festif et furtif offrait à Gilbert. « Je menais donc une vie de chien ? » se disait-il. Par vie de chien, en bon helléniste, il entendait vie cynique. Et pourtant, Dieu sait si, jadis, il avait  multiplié les rêves de rupture avec ses intermittences du cœur. Mais ses velléités idéalistes s’échouaient comme une barque qui prend l’eau. Aujourd’hui, si j’ose dire, sa barque a jeté l’ancre et trouvé son port. Il vit avec Aline l’incroyable légende à laquelle il ne croyait plus.
Texte de Madeleine
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La légende d’Annette

Le problème est qu’Annette, dans son audace et son sans gène phénoménal, fidèle à sa légende de voyageuse infatigable, s’apprête à partir pour un nouveau tour du monde. Sa prochaine étape sera l’Afrique.
Quel est le problème ? Me répondrez-vous.
Vous ne connaissez pas Annette. C’est un être d’exception sans nul doute. On ne peut pas l’oublier quand on l’a rencontrée. Sa beauté c’est celle du cœur, sa tendresse est universelle, elle ne peut croiser quelqu’un sans s’en faire un ou une amie.
Mais voilà, elle est handicapée à cause d’une jambe presque paralysée, un reste de polio.

Or Gilbert Denoise, lui est un homme qui n’aime pas trop bouger, on le trouve peu sociable. Il a une admiration sans bornes pour Annette qui, généreuse, n’a peur de rien mais n’a peut être pas les moyens physiques de ses ambitions.
Gilbert lui est d’une agilité surprenante pour son âge. C’est la pratique du yoga qui l’a conservé en bonne forme mais il craint que son manque d’ambition ne fasse aboutir son projet de retrouver Annette en un amour fugace.
Il se résout à laisser Annette mener sa vie, partir seule mais à son retour, il l’invitera à se poser chez lui, dans sa grande maison et il la suivra si elle se décide à partir de nouveau.

Il s’en aurait fallu de peu pour que, quelques années auparavant Gilbert qui était connu sous le nom de docteur Salperwick rejoigne Annette, qui elle, était la veuve du professeur Solers. C'est Aline de Rochefort, une femme de marin malgré son nom à particule, c’est donc Aline qui profita de l'occasion quelques années plus tard.
Quelle histoire, cette liaison du docteur Salperwick ! Il était séduisant et avait déjà eu une aventure avec elle, Aline, alors qu’il avait établi son cabinet dans la bourgade où elle avait passé sa jeunesse. Elle venait même de se marier à cette époque. Cette intrigue aurait pu déjà tourner mal mais, sans tenir compte de la leçon, c’est trente ans après que, sans s’être oubliés ils se sont retrouvés et ont reproduit le même scénario. Réellement, ils ne se sont pas mariés et c’est peut être ce qui a provoqué leur séparation après six ans.
Gilbert Denoise, était alors de nouveau libre et repensait à Annette. Il espérait qu’elle pourrait s’accommoder de son manque de dynamisme. Il correspondait avec elle  en faisant confiance au temps qui faisait bien les choses en général.

Aujourd’hui il nous reste de cela que Gilbert Denoise mène une vie de pantouflard en attendant qu’Annette revienne de son voyage en Afrique. En fait elle n’y est pas encore partie. Ensuite il faudra qu’elle accepte de venir jusqu’à chez lui.
Il redoute que ce rêve insensé, comme une barque prenant l’eau, s’use au fil des temps. Ce serait comme la promesse d’un péché que la réalité ne permettra pas. Si toutefois c’est un péché de se mettre en couple.
Annette pense à son voyage sans entrain, elle n’a plus cette envie de parcourir le monde qui la tenait jusqu’à présent. Elle pense quelle utilisera le temps du dépaysement pour réfléchir comment se donner les moyens de gagner de l’argent avec ses acquis ésotériques qu’elle voudrait proposer sur Internet.
Elle sait bien que Gilbert, le fameux docteur Salperwick n’est pas l’homme qu’il lui faut. Il n’a pas pu retenir Aline de Rochefort qui, très active, fera sa vie de son côté. Elle ne croit pas trop, par ailleurs, qu’elle sera capable d’apaiser sa soif  d’amour inconditionnel qui la fait chercher son idéal au-delà de la vie de tous les jours.
Texte de Marc
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mardi 9 novembre 2010

consigne du 8 novembre

L'idée de cette consigne était de réfléchir, et d'écrire, sur ce qui fait qu'une personne, un beau jour, peut décider de changer d'identité, se faire passer pour quelqu'un d'autre, usurper une fonction, un titre, une vie...
Le but n'est pas de décrire le comment, ni l'après, mais l'avant... écrire l'histoire d'un personnage qui va poser cet acte là...

Certaines séances de l'atelier d'écriture penchent plutôt vers l'écriture, d'autres plutôt vers l'atelier... selon la consigne... selon qu'elle laisse une part plus ou moins grande à la liberté d'écrire ce qu'on veut... selon sa force contraignante ....
ce 8 novembre, nous étions plutôt dans "l'atelier", avec une consigne forte et plutôt rigide, avec beaucoup d'éléments à intégrer et ma foi, les textes que j'ai entendu m'ont plu. Nicole 

lundi 8 novembre 2010

Liberté



Modeste, qui avait tant de cordes à son arc, avait aussi hérité d’un salon de coiffure. Comme il était un bon fils, il n’avait pas voulu faire de peine à ses parents en le refusant. Manuellement adroit, ingénieux et sociable, il y réussissait. Le personnel et la clientèle le célébraient à l’envi. Hélas, il se sentait de plus en plus ridicule quand, tel Matamore, il matait  les crinières abondantes ou quand, à l’inverse, en redresseur de tort, il étoffait savamment de pauvres tignasses chétives. Bref, la matière chevelue l’écoeurait, l’empêtrait, le ligotait comme un vulgaire moucheron pris dans une toile d’araignée.

Ah ! fuir ce milieu de femmes, pour femmes, avec des femmes !
Mieux entendre les nouvelles du monde !
Savoir vraiment ce qui se passe !
Avoir du recul, mettre tout en perspective !
Se faire une idée vraie de la vie !

Sur la place, juste devant chez lui, se tenait le marché aux fleurs. En plein air, loin de l’atmosphère confinée du salon. Josiane, la fleuriste, vendait  ses bouquets à tous, aux amoureux, aux écoliers pour la Fête des mères, aux invités cérémonieux, aux officiels, aux amis éplorés lors des funérailles et même aux maniaques fous de symboles. Il se mettait sur le pas de sa porte pour les entendre tous et pour l’entendre, elle, qui pénétrait les désirs et les sentiments de ses clients. C’était bien autre chose que de délabyrinther des cheveux !

Un homme très important passait souvent commande à Josiane. C’était un homme d’affaires qui avait su faire travailler pour lui beaucoup de monde. Il était adjoint au Maire et tous le saluaient. Il répondait à tous. Il participait à des congrès, des expositions et des colloques en France et  à l’étranger. Il pouvait comparer les besoins et les problèmes, juger des affrontements, évoquer des solutions. Il connaissait l’humanité au point – disait-il -- de pouvoir prévoir l’homme du troisième millénaire. Rien à voir avec l’élection de Miss Bouclettes !

Modeste connaissait aussi, pour l’avoir rencontré dans la rue et aussi pour l’avoir entendu vanter par ses clientes, un jeune homme singulier. D’après la rumeur, il avait mené une vie de galère, proche de la dissidence et de la marginalité, pendant dix ans, comme on traverse une contrée périlleuse. Il n’avait pas coupé ses cheveux longs. Il chantait et jouait toujours de la guitare mais occupait un poste de professeur à l’école voisine. Modeste enviait sa voix chaude et son sourire irrésistible. Composer, trouver mots et musique, quelle aventure ! C’était autre chose que de poser des bigoudis ! Et ça vous rendait beau. Et puis vivre dans le monde de l’enfance, entouré d’un cortège d’angelots, et même de diablotins n’était-ce pas remonter le cours du temps ?

Ah ! être au point de rencontre des âges et des civilisations !
Ressentir les enthousiasmes !
 Les comprendre en profondeur !
 Passer de la matière aux âmes et peut-être à ce qui fait vivre les âmes !

Quand il était petit, Modeste, une nuit, avait rêvé qu’il parcourait le monde avec une caméra et qu’il enregistrait tout ce qui lui faisait signe. Signe de quoi ? il l’ignorait. Cependant, ce que lui disait le monde, il lui fallait le traduire. Cette traduction lui incombait, s’il ne la faisait pas, personne ne la ferait. Il s’était réveillé en pleurant.

Tous nos concitoyens furent très surpris quand Modeste qui n’avait pas trente cinq ans céda salon, clientèle et pour ainsi dire personnel à un vague cousin qui promit de lui verser une mensualité. Il disparut. On n’en eut plus de nouvelles. Les uns disent qu’il voyage, ce veinard, d’autres qu’il est devenu guitariste ambulant, d’autres qu’il vit aux Indes, en ashram, d’autres, enfin, qu’il est capable de tout. A ces différentes hypothèses, l’instituteur a consacré une chanson. Mais depuis, Josiane soupire souvent. Et l’adjoint au Maire ajoute qu’il est regrettable que la ville ait perdu un coiffeur si doué, qui en faisait la célébrité.

Son meilleur ami se souvient que l’année du Bac, Modeste professait une folle admiration  pour le candidat, réel ou mythique, qui avait choisi  un sujet sur la liberté pour ne le traiter que par la phrase : « La liberté, c’est ça ! »
Madeleine 25 octobre

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