vendredi 12 novembre 2010

L'atelier du 8 novembre

L'oubli

La vraie tendresse, la fidèle amitié passent parfois pour d’incroyables légendes tant nous surmontons mal notre gêne face à l’affectif. La tendresse et l’amitié vivent désormais, comme le monde, à flux tendus. La vitesse les émiette, la distance les brise et le temps les achève. Il en subsiste des éclats, des perles, des brimborions bons tout juste à fournir la collection de souvenirs discontinus qui jalonnent la mémoire, traçant de plus en plus mal, dans l’ombre, la voie lumineuse qui remonte à l’enfance.
Gilbert Denoise, lui, rejetait des sentiments si fugaces. L’insouciance et l’oubli le consternaient, le poussait à renoncer à ce qui lui semblait fragile, aléatoire, soumis à trop de circonstances. Pourtant, il avait aimé, dans sa jeunesse. Mais les filles, comme par magie, s’effaçaient de sa vie au hasard d’un changement d’adresse, d’un nouveau job, d’une rencontre ou d’un voyage. Les amis aussi, prodigues un temps en confidences, en coups de fil, en cartes postales... Il lui semblait vivre en clochard de luxe sur la place publique d’un village mondial. L’amour et l’amitié n’y étaient que pacotille, lampions et guirlandes accrochés au ciel d’une fête perpétuelle qu’assombrissait pourtant les périls de crise économique, de réchauffement climatique et de mise en charpie de la nature.
Il avait bien failli renoncer à l’invitation du Docteur Salperwick qui tenait à le voir honorer de sa présence le vernissage de son exposition. Et alors, il n’aurait pas rencontré Aline Rochefort. Petite, blonde, vêtue d’une simple robe noire, elle se tenait devant le portrait d’une femme de marin. C’était en vain que la femme du professeur Scholtès la tirait par la manche en désignant d’autres œuvres, des portraits pour la plupart. Aline demeura plus d’un quart d’heure devant cette Bretonne qui regardait la mer tandis que Gilbert regardait Aline. Autour d’eux, tournaient les plateaux et les flûtes de champagne. Autour d’eux se faisaient et se défaisaient les groupes. Autour d’eux la ville, autour d’eux le monde. Etrange paix de l’œil du cyclone…
Enfin, Aline se tourna vers Gilbert.
-- Savez-vous tout ce que ce tableau me rappelle ? Toute une adolescence au bord de la mer d’Iroise, des côtes sauvages, des milliers de vagues d’un bleu intense sous un ciel clair et des trombes de pluie. Il me semble que je ne cesse d’y être immergée. Je perçois encore le crissement des coquillages brisés et la rugosité du sable sous mes pieds nus. Et le bruit de la houle et les cris des mouettes.
Gilbert lui avoua que le visage de cette femme de marin lui inspirait une mélancolie sans objet comme s’il lui rappelait un amour oublié. La présence d’ Aline en avait tout effacé de sa mémoire, sauf un énigmatique sentiment. Il comprit, à ce jour, qu’il était, autant qu’un autre, capable d’oubli.
Aujourd’hui, le nouvel amour a fait fuir toutes les promesses de péché que ce mode festif et furtif offrait à Gilbert. « Je menais donc une vie de chien ? » se disait-il. Par vie de chien, en bon helléniste, il entendait vie cynique. Et pourtant, Dieu sait si, jadis, il avait  multiplié les rêves de rupture avec ses intermittences du cœur. Mais ses velléités idéalistes s’échouaient comme une barque qui prend l’eau. Aujourd’hui, si j’ose dire, sa barque a jeté l’ancre et trouvé son port. Il vit avec Aline l’incroyable légende à laquelle il ne croyait plus.
Texte de Madeleine
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La légende d’Annette

Le problème est qu’Annette, dans son audace et son sans gène phénoménal, fidèle à sa légende de voyageuse infatigable, s’apprête à partir pour un nouveau tour du monde. Sa prochaine étape sera l’Afrique.
Quel est le problème ? Me répondrez-vous.
Vous ne connaissez pas Annette. C’est un être d’exception sans nul doute. On ne peut pas l’oublier quand on l’a rencontrée. Sa beauté c’est celle du cœur, sa tendresse est universelle, elle ne peut croiser quelqu’un sans s’en faire un ou une amie.
Mais voilà, elle est handicapée à cause d’une jambe presque paralysée, un reste de polio.

Or Gilbert Denoise, lui est un homme qui n’aime pas trop bouger, on le trouve peu sociable. Il a une admiration sans bornes pour Annette qui, généreuse, n’a peur de rien mais n’a peut être pas les moyens physiques de ses ambitions.
Gilbert lui est d’une agilité surprenante pour son âge. C’est la pratique du yoga qui l’a conservé en bonne forme mais il craint que son manque d’ambition ne fasse aboutir son projet de retrouver Annette en un amour fugace.
Il se résout à laisser Annette mener sa vie, partir seule mais à son retour, il l’invitera à se poser chez lui, dans sa grande maison et il la suivra si elle se décide à partir de nouveau.

Il s’en aurait fallu de peu pour que, quelques années auparavant Gilbert qui était connu sous le nom de docteur Salperwick rejoigne Annette, qui elle, était la veuve du professeur Solers. C'est Aline de Rochefort, une femme de marin malgré son nom à particule, c’est donc Aline qui profita de l'occasion quelques années plus tard.
Quelle histoire, cette liaison du docteur Salperwick ! Il était séduisant et avait déjà eu une aventure avec elle, Aline, alors qu’il avait établi son cabinet dans la bourgade où elle avait passé sa jeunesse. Elle venait même de se marier à cette époque. Cette intrigue aurait pu déjà tourner mal mais, sans tenir compte de la leçon, c’est trente ans après que, sans s’être oubliés ils se sont retrouvés et ont reproduit le même scénario. Réellement, ils ne se sont pas mariés et c’est peut être ce qui a provoqué leur séparation après six ans.
Gilbert Denoise, était alors de nouveau libre et repensait à Annette. Il espérait qu’elle pourrait s’accommoder de son manque de dynamisme. Il correspondait avec elle  en faisant confiance au temps qui faisait bien les choses en général.

Aujourd’hui il nous reste de cela que Gilbert Denoise mène une vie de pantouflard en attendant qu’Annette revienne de son voyage en Afrique. En fait elle n’y est pas encore partie. Ensuite il faudra qu’elle accepte de venir jusqu’à chez lui.
Il redoute que ce rêve insensé, comme une barque prenant l’eau, s’use au fil des temps. Ce serait comme la promesse d’un péché que la réalité ne permettra pas. Si toutefois c’est un péché de se mettre en couple.
Annette pense à son voyage sans entrain, elle n’a plus cette envie de parcourir le monde qui la tenait jusqu’à présent. Elle pense quelle utilisera le temps du dépaysement pour réfléchir comment se donner les moyens de gagner de l’argent avec ses acquis ésotériques qu’elle voudrait proposer sur Internet.
Elle sait bien que Gilbert, le fameux docteur Salperwick n’est pas l’homme qu’il lui faut. Il n’a pas pu retenir Aline de Rochefort qui, très active, fera sa vie de son côté. Elle ne croit pas trop, par ailleurs, qu’elle sera capable d’apaiser sa soif  d’amour inconditionnel qui la fait chercher son idéal au-delà de la vie de tous les jours.
Texte de Marc
Les photos de l'atelier du 8 novembre par Paul : clic

2 commentaires:

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