lundi 11 février 2013

Seul(e) dans un transport en commun

Le voyage silencieux


Debout, dans le grand hall des courants d’air, les yeux fixés sur le tableau de départ, nous attendons au milieu de nos valise, de nos sacs et de nos paquets. Plus bas, au pied des grands escaliers de la Gare Saint-Charles, Marseille plonge jusqu’à la mer et monte vers la Bonne Mère. Nous, ici, nous sommes plantés devant des lettres et de chiffres qui scintillent dans un grand espace noir. Le train pour Toulouse part dans vingt minutes et nul retard n’est prévu. Mais vers quel quai me précipiter, avec ma valise à roulettes et mon sac à dos ? Enfin le mur s’exprime en chiffres de feu : 16 ! Un peu loin, mais très jouable : fonçons ! Et je cours ! Personne sur le quai. Les autres sont déjà montés. Renseignés comment ? Peu importe. Je galope vers la voiture 13, la plus lointaine, celle qui sera en tête à l’arrivée. Ouf ! j’y suis. Je grimpe sans aide ni bousculade, et pour cause. Je pousse ma valise à gauche, dans le casier aux gros bagages, heureusement vide, et je m’affale à ma place et même à la place voisine où je pose mon sac. Quand l’autre individu montera, il sera temps d’aviser. A peine suis-je installée que le train Corail Marseille-Toulouse, sans prévenir, glisse silencieusement sur les rails et m’emporte.


Je me retourne pour exprimer à mes futurs compagnons tout mon soulagement de les avoir rattrapés in extremis. Mais personne n’est là, le wagon est vide… Je me dirige vers la voiture 12 et jette un bref coup d’œil. Personne, non plus. J’examine en revenant les dossiers des sièges. Pas de réservations. J’attends la prochaine annonce. Apparemment, la SNCF a fait vœu de silence, c’est son droit. J’aurais pourtant aimé entendre son petit indicatif musical et rassurant. J’en saurai sans doute plus à la prochaine gare. Le train Corail ne s’arrête pas à Miramas, c’est normal. Un peu plus tard, une autoroute que je longe un moment indique Saint-Martin de Crau. Je vais donc contempler une fois de plus la farandole peinte sur le mur de la gare d’Arles. Farandole enlevée, farandole passée… J’exagère : le train a ralenti le long du quai, mais à peine. Où fuyons-nous ? Je dis nous parce qu’il y a le conducteur, que je devine dans sa cabine. Y a-t-il quelqu’un d’autre ? Allons-nous seulement en direction de Toulouse ? Serai-je à Nîmes dans moins d’une heure comme l’indique mon billet ? Oui, puisque j’ai traversé Arles dont l’arrêt a été bizarrement supprimé… Au dehors, les voitures circulent, les oiseaux volent et se posent. Les entrepôts se succèdent et les nœuds d’autoroutes se dénouent. Les convolutions de nuages ne me disent rien de passionnant, biffées qu’elles sont par d’inévitables traînées d’avion. Rien n’annonce un drame dans ce paysage post-industriel. Et pourquoi ce convoi pour moi seule, alors que je sais, – on l’a assez dit – que la SNCF fonctionne à flux tendu ? Qui suis-je ? Un être atteint d’un virus ultra- dangereux ? La voyageuse invisible d’un train fantôme ? 

J’ai eu, quand j’étais très petite, une impression semblable. Je pique-niquais avec mes parents, mes frères, ma grand-mère et des cousins. Et puis, je suis passée de l’autre côté d’une haie. Je n’entendais plus personne. J’ai dû ensuite tourner à droite au lieu de tourner à gauche, totalement désorientée. J’étais perdue loin de tout. En fait, à quelques mètres… 

C’est sans doute ce qui m’arrive. Je suis montée dans un autre train. Ou peut-être y en a-t-il qui sont comme les trous noirs du territoire, qui aspirent les habitants vers le néant. Je vais m’engloutir de l’autre côté du réel. Il y a, dit-on, une centaine de disparitions définitives chaque année en France, sans adieux, sans cadavre, et sans retour. Je suis sur la piste oubliée. Une gomme géante m’efface avec mes bagages et mon identité. Et Nîmes, plus loin Montpellier, Béziers, Narbonne resteront dans la réalité… 

C’est alors que retentit l’indicatif de la SNCF. Il annonce l’entrée en gare de Nîmes : « Nous espérons que vous avez fait un agréable voyage, veillez à ne rien oublier en descendant. » Le convoi s’arrête à la nuit tombante, dans la station toute illuminée. Des autres voitures, descendent d’autres voyageurs. Pourquoi étais-je la seule en voiture 13 ? Pourquoi l’arrêt d’Arles a-t-il été supprimé ? Quelque chose s’est-il détraqué dans mon cerveau au point de ne m’avoir pas laissé voir tout à l’heure ces passagers qui descendent de la voiture 12 ? En me dirigeant vers la sortie, je me faufile dans la foule. J’ai l’impression d’être invisible. 

Mon beau-frère et ma sœur, sur le trottoir d’en face, me font signe. C’est moi, c’est bien moi ! je commençais à en douter et quelque chose me dit que je n’en serai plus jamais totalement persuadée.
(Madeleine)
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Luminescence

C’est  un drôle de matin, ce matin gris où les souris se cachent en solitaire pour mourir.

J’attends l’aéronef sur le quai  découpé de trous, comme un gruyère moisi. 
La foule a disparu aspirée par ces  pièges béants.

Le vent ne pourra rien et ton souffle se distille sur ma nuque.

J’attends toujours ; l’aéronef ne viendra pas aujourd’hui pas plus qu’hier et les autres jours passés sans toi.

Des voix métalliques, des voies d’accès m’indiquent la direction à  suivre. 
Une hirondelle s’est posée sur le tarmac échaudé de souvenirs sulfureux. Sur son flanc une porte s’ouvre…Je monte la passerelle. Je m’installe dans un fauteuil de lin blanc, la ceinture de sécurité est attachée. Le décollage est imminent, il y n’a personne à bord.

La constellation la plus proche se situe à l’intérieur de tes yeux où l’univers  dessine ton corps de femme. Tes hanches dodelinent et tes lèvres entrouvertes  m’appellent. 

C’est  un corps céleste en expansion proche d’un trou noir où  le temps  s’immobilise.
C’est une bouffée d’oxygène  parfumée aux senteurs d’étoiles.

C’est un drôle de matin, ce matin où les souris se cachent en solitaire pour se nourrir.

J’ai attendu l’hirondelle, l’hirondelle attend le printemps et  le printemps  la fin de l’hiver. 
C’est une suite sans fin, une folle farandole où chacun rêve d’une hypothétique rencontre, une  improbable destination  pour nulle part…

L e temps n’a pas de pause, toi  tu t’exposes nue  sur un rayon de lune…
Le voyage est long, l’espace bien profond…l’éternité à ses limites…
.
Parle-moi encore de ces arbres qui fleurissent la saison venue, de cette planète où tu vivais entourée de jardins exotiques irrigués de sources au lait d’avoine. 

J’ai peigné ta longue  chevelure ondulée de reflets d’or, elle protégeait  la blancheur de tes seins.
J’ai peint des traces d’amour sur le creux de tes reins avec mes doigts baignés de désir, puis je t’ai rejoins.

Ai-je déjà connu cette ivresse sidérale à travers les champs de solitude  là où les souris se cachent pour s’aimer, comme peuvent s’aimer des souris  pour se nourrir, puis mourir dans le vent ?

L’amandier a fleuri ce matin, le printemps avance à petits pas et les cages n’ont  plus de porte.

J’ai pensé à toi ce matin. Il y avait bien longtemps que cela ne m’était pas arrivé.
La vie, la foule, le monde, sept milliards de mémoires cellulaires  ici-bas, toi au bout de la rue ; je t’ai enfin retrouvée.
L’amour que j’avais pour toi était si fort qu’aucun  D-ieu, qu’aucune  D-éesse ne pouvait  comprendre ce que la raison ignorait, cet instant non maitrisé où par une lueur  je t’ai rencontrée la toute première fois fixant dans le ciel une étoile à  plusieurs années lumière.

Te voilà prés de moi, tu n’as pas changé…Tu t’endors  et je te caresse doucement, doucement 

Textes de Paul : clic
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Seuls à Paris



Elle est là, assise au pied d’un pilier dans le grand hall de la gare de Lyon, au début du quai où doit arriver le train de nuit venant de Marseille. Elle s’est levée de bonne heure mais elle dort mal depuis une dizaine de jours. Elle a vécu le départ d’Olivier quasiment en direct.
Oui, elle est là, recroquevillée, au milieu de la foule qui manque à tout instant de la piétiner. On pourrait croire qu’elle fait la manche ou qu’elle est prise d’un malaise. Elle est persuadée que je ne pouvais pas la rater. En effet, descendant du train dans les premiers, je ne vois qu’elle et nous voici réunis, seuls au monde entourés de milliers de personnes qui nous bousculent ou nous cognent avec leurs valises.

Nous rejoignons l'arrêt des bus et prenons une place dans la queue, curieusement nous sommes les derniers. Le bus arrive, se remplit et part bondé, nous nous retrouvons seuls à attendre le suivant qui arrive à son tour. Nous montons et il part aussitôt. Nous sommes les seuls passagers et j'ai l'impression que le chauffeur se charge de nous faire visiter la capitale sans s'arrêter pour prendre d'autres voyageurs. Quel étrange voyage !
Il pleut dehors, nous sommes bien mais au bout d'un moment, intrigué j'interpelle le chauffeur : "Nous sommes bien en direction d'Issy les Moulineaux ?" Pas déponse.
Je me laisse aller, Anne est tranquille aussi, plus rien n'a de l'importance, elle me raconte tout ce qu’elle a vécu depuis notre dernière rencontre et particulièrement autour de ce dernier grand événement pour moi qu’elle a pris en charge affectivement. 
Le bus emprunte les quais de la Seine et je vois défiler l’Hôtel de ville de Paris, le Louvre, la Concorde, la Tour Eiffel, le pont de l’Alma …
Je ne sais plus comment le trajet s'est terminé mais nous sommes arrivés enfin chez Anne, à La Clé, cette villa où je devais intervenir auprès d’un groupe de six ou sept personnes. Anne a repris son esprit pratique en organisant avec une très libérale autorité, l’accueil des participants.

Je connaissais Anne depuis quelques semaines ; quelque chose de merveilleux est passé entre nous au cours d'un stage, par mes mains principalement alors que je faisais sur elle une démonstration de relaxation aidée. Il lui incombait d’accueillir ce fluide qui venait d’ailleurs dont j’étais le canal et que je transmettais sans le maitriser. Elle y a vu les applications de ce qu’elle étudiait avec Michel son mari, le corps éthérique, enveloppe immatérielle de l’âme.
Or c’est à cette époque que survint l’accident d’Olivier mon fils. Elle à Paris, lui dans le Sud. Elle s’est vue chargée d’une mission extrasensorielle ; elle a été mon guide vers la lumière.

Dans ma poche, le minuscule carnet de notes qu’elle m’a donné ce jour là. Il tient dans le creux de la main et à chaque page juste la place d’une petite phrase. Longtemps après, je le retrouverai dans un tiroir de mon bureau ; il contient des mots d’amour que je n’ai jamais su dire à qui que ce soit.
(Marc)
 PS :
je sais que ces autres mots d'amour retrouvés étaient tous inspirés et co signés d'Olivier 
je lui parle encore souvent tu sais 
Signé : Anne (le 31 janvier 2013)
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Garde tes larmes


            Décidément cette station de métro porte bien son nom -station Glacière- on ne m'y reprendra plus, je suis gelée. Une cathédrale de courants d'air avec la moitié de la population de Paris grelottante et tapant des pieds dans l'espoir vain de se réchauffer.
Mais qu'est-ce qu'il fait ce métro ?
Toutes les huit minutes, normalement, on dirait que ça fait une plombe que j'attends là.
Le bout de mes doigts de pieds disent 2 plombes...
Aïe, encore une qui ne m'a pas vu, et allez, passe ton chemin sans dire un mot – C'est la mode ici.
Et ce métro qui n 'arrive pas. Il va falloir deux rames pour avaler tout ce monde.
Ouais, ben moi je prends la première. Je reste au bord de la ligne, tout au bord, sans la dépasser, d'accord ; mais je prends le premier métro.
Le vent glacial vient gonfler mon blouson.
Je ressemble de plus en plus à un canard.

            Ô, doux bruit !
Sirène de fermeture des portes - Bel ensemble de  «clic-clac» elles sont toutes fermées.
Ouf ! Suis au chaud.
Enfin davantage. Je défais un peu mon écharpe sur-embobinée autour de mon cou et j'en profite pour jeter un œil alentour : personne.
Ça, c'est pas banal, avec tout le peuple qu'il y avait sur le quai je trouve ça bizarre.
En attendant, il n'y a pas âme qui vive dans ce foutu wagon.
Bon, y'en a pour une minute, atteindre la prochaine station ne devrait pas être trop long.
Ou alors : je rève...je me suis peut-être endormie malgré la morsure du froid ?
Ou je somnole et ce wagon vide sort tout droit de mon inconscient frileux ?
Y'avait une telle foule....décidément : comprends pas.
En même temps, j'aime pas trop être seule -seule- mais seule dans ce métro, on dirait un mauvais film.
Bon allez, calme-toi on est toujours mieux seule que mal accompagnée. Oui, mais bon, si ce métro ne s'arrêtait pas ?
S'il ne s'arrêtait pas à la prochaine station ? Ni à celle d'après ? Et si ce métro ne s'arrêtait plus ? Plus jamais...prisonnière dans un métro, rien qui vaille la Une des journaux.
Ca y'est, tu délires, allez, bonjour l'envolée lyrique - reviens sur Terre -Charline- ton métro te mènera forcément quelque part ! Peut-être n'ai-je pas vu ce qui à freiné les autres à attendre l'autre rame ?
Dis-toi encore que tu es mieux seule qu'avec une bande de jeunes frapadingues à qui il passerait «on ne sait quoi» par la tête.C'est que, ma grande, les faits divers, ça existe.
C'est même plus courant que les métros fantômes. Au moins quand il n'y a personne, a priori, il n'y a pas de tordu.
Le temps passe pourtant et toujours pas de station où s'arrêter. Je deviens parano à cause de  ce métro !
Calme-toi Charline, essaies de réfléchir, de te souvenir... : tu étais sur le quai en train d'attendre la rame. Un sourire peint du bout des lèvres quand le bruit de la rame s'est fait entendre.Tu es monté, tu as choisi ta place préférée, celle de d'habitude. C'est pourtant pas la première fois que tu te sens seule au milieu de la foule !
Toujours personne autour de moi. Forcément avec cette vie de fou, toujours à choper la correspondance qui va bien, toujours bousculée, bringuebalée -Voilà : burn out ! Tu pêtes les plombs ma Charline.
Je me sens de plus en plus seule, isolée des autres humains possibles. En route vers un probable indéfini qui ma glace les sangs. Une terreur noire s'empare de moi, ma respiration s'accélère, mon cœur bat la chamade.

            Je n'ai plus du tout froid. Des gouttes de sueur s'infiltrent dans mes yeux, autour de mon nez et jusqu'à ma bouche qui teste le goût par réflexe. Instinctivement je happe une goutte sur le bout de ma langue. C'est salé, fluide, intense. Les gouttes éclaboussent quand je tourne vivement la tête, très stressée, cette fois. Ma sueur se transforme en embruns, je suis comme sur un bateau en pleine tempête. Comme cette fois ou j'ai été si malade en voilier dans la rade de Toulon déchaînée. Même impression d'être en prison derrière des vitres, subissant l'intermittence de la lumière. Quel enfer ! Et cette sueur qui n'arrête pas de couler, de couler.
La lumière est soudain constante, vive et froide car ce n'est pas celle du jour, elle m’éblouit mais elle reste, là, devant, derrière les vitres sales, elle n'est plus saccadée. Elle est pleine comme un gros œuf blanc.
            Le cliquetis redevenu quotidien de l'ouverture des portes reprend ses droits. Je descends de la rame comme une automate et me retrouve sur le quai bondé de Denfert-Rochereau. Je stoppe net ma marche. Je marchais déjà très vite par mimétisme inconscient avec la foule qui défile. Je m'arrête pour réfléchir. Où j'allais déjà ? Ah oui, j'allais voir ma grand-mère ; une vieille acariâtre et autoritaire que plus personne ne supporte. Moi, j'ai 16 ans je vais la voir de temps en temps, pas souvent, le 14ème c'est loin de ma banlieue- On n'est pas « Famille-Famille » chez nous.
Elle a des côtés marrants cette vieille. J'aime qu'elle me raconte son année 1936 -à elle-. Ces déboires avec ces maris inconstants – elle en a eût 2 – ses soucis d'antan, les difficultés de la vie «d'avant» et la guerre...
            Cette fois je crois que je vais prendre le temps d'acheter des Paris-Brest avant d'arriver rue Daguerre. Mon père m'a dit qu'elle les adorait. C'est peut-être toujours le cas. Je les savoure à l'avance. La vitrine est belle.
Un jour Mémé Daguerre (c'était son surnom quand j'étais toute gamine) m'a prêté un livre. En le lui rendant je lui ai avoué qu'il m'avait fait pleurer.
Elle m'a jeté un coup d’œil vide de sens comme seules les personnes âgées en ont et m'a dit en marmonnant de très loin dans ses pensées : «garde tes larmes pour la vie».                                                                                                

D.L      

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Tram fou

 18h30 : Quelle foule ! C'est vraiment pas la bonne heure pour prendre ce foutu tram ! Je vais encore en laisser passer une dizaine avant de pouvoir monter dedans ! Pourtant j'ai RDV avec Xav dans le quartier des pamplemousses à l'autre bout de la ville. Je lui ai promis d'aller écouter Pablo chanter. C'est un pote à lui, un gitan qui joue de la guitare depuis qu'il a 6 ans, et il chante, parait-il, divinement bien. Moi j'adore le flamenco, ça me touche trop leur chant lancinant.

Bon, en vla un qui n'est pas trop plein. Je monte. Le chauffeur est particulièrement nerveux et nous secoue comme des pruniers. Soudain, le tram s'arrête à l'arrêt demandé et là, bizarrement, tout le monde descend. Et je me retrouve seule. Le chauffeur ne s'est pas calmé. Il démarre en trombe comme s'il était en plein rallye. Je manque m'étaler par terre et là je commence à flipper.
Comment ça se fait que je sois seule sur une ligne aussi fréquentée ? Pourquoi sont-ils tous descendus ? Qu'est-ce qui lui prend de conduire comme un taré ?
Je décide de m'avancer prudemment vers le chauffeur car j'étais tout au fond. Je vais lui demander si tout va bien ou.... s'il a un rencard urgent … ou s'il a fait un casse, qu'il a planqué le fric dans le tram et qu'il essaie de semer les flics ...Ou lala, je psychote carrément ! Je commence à construire des scénarios scabreux, ça va pas du tout !!
Et là j'aperçois l'arrêt super connu de la Marbrerie où, attendent d'ailleurs une dizaine de personnes.
Bon je crois que je vais descendre car, finalement, il n’est pas net du tout ce chauffeur ! J'ai vraiment besoin de sortir de ce tram fou !
Horreur ! il ne s'arrête pas, alors que j'avais appuyé 3 fois sur le bouton ! Il accélère même ! Ce type est totalement taré ! En fait, il est entrain de me kidnapper, il va demander une énorme rançon ! Mais à qui ? J'ai plus de parents. J'ai pas de mari, pas d’enfant, pas de frère, pas de sœur.
Mais qu'est-ce qu'il me veut ? J'ai même pas de fric sur moi. Je comptais taper mon copain Xav de quelques euros comme d'hab ! Là, c’est l'angoisse qui m’envahit, avec tout son attirail, qu’en fait  je connais bien : palpitations, poitrine serrée, souffle court, jambes ramollies …C'est horrible ! J'ai déjà vécu ça il y a 10 ans. A cet instant, tout remonte, comme si je dégueulais la scène de l'agression J'attendais le métro cette fois-ci, à la station Denfert-Rochereau. J'étais seule, il était tard, minuit et demi environ. Et là, je vois arriver 3 types sérieusement éméchés qui gueulaient, se bousculaient titubaient, et qui avançaient vers moi en se marrant. Alors je me suis dit : «  Ma cocotte, tu vas y passer ! » J'étais totalement paralysée. J'aurais pas pu courir, m’échapper, retrouver la sortie, l'air libre ? Et ben non. Je suis restée là, sans bouger. Ils se sont approchés, ils m'ont encerclé, et ils ont commencé à me toucher l'un après l’autre, en ricanant : les cheveux, le sac, le blouson …
J'étais entrain de mourir sur place, la terreur était tellement puissante que … le métro est arrivé, et là je me suis enfuie !

Tiens, mais c'est mon arrêt, le quartier des pamplemousses. J’appuie, l'air hagard en me disant que c'est encore foutu de toutes façons, il ne va pas s'arrêter … Et ben non, le tram freine, très sèchement et s'arrête brutalement comme s'il voulait m’éjecter. Je descends, complètement chavirée, avec mon angoisse, celle que je connais trop bien, en boule, roulée au fond de moi. Je me rends compte alors que, finalement, il ne s'est rien passé. Et là, je me dis que rien n'est vraiment réparé. Je pensais que la souffrance s'était enfin dissipée, avec toutes mes séances de sophrologie, réflexologie, fasciathérapie, kinésiologie, analyse, magnétisme … Cette foutue angoisse, elle est toujours là, elle a fait son nid tout au fond de moi. Je n'ai plus du tout envie d'aller écouter du flamenco, encore de la souffrance qui suinte … non, c'est bon, j'en veux pas, j'en veux plus !
Je décide de rentrer chez moi. Je vais la sculpter cette boule .Il faut que je la malaxe, que je la fasse exister ! L'argile que j'ai achetée, il y a 6 mois, et qui dort dans mon placard, ce soir, elle va passer un sale quart d'heure !


Florence MONTEGU
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Transport en commun


Je, qui, ou la peur, l’angoisse

Beaucoup de monde 

C’est samedi, il fait beau, il me faut aller faire des courses et rejoindre mon amie Carole. Pendant un instant, j’ai pensé prendre ma voiture mais un samedi, les parkings doivent être pleins ; je renonce. 

En sortant de la maison, je constate qu’il fait un beau soleil aussi c’est avec plaisir que je me rends à l’arrêt de bus à pied. Il y a du monde partout dans les rues. Je me dirige vers la gare des bus en pensant que la queue sera moins longue qu’à un arrêt normal. Hélas arrivée au départ de mon bus 5, je constate qu’il me faudra monter dans le suivant. 

Devant moi, beaucoup de jeunes attendent avec un sac de voyage. Je n’ai pas réservé ma place donc je me recule pour laisser passer les passagers qui ont un ticket. Un monsieur très poli veut me céder sa place car il n’est pas pressé et là dessus il engage la conversation…….. 

Le temps passe, je regarde le bus qui s’éloigne. Horreur, c’est le bus 4. Laissant le monsieur continuer sa conversation je pars vite et je change de quai pour rejoindre le quai 5. Là je constate que je suis seule. Le chauffeur me fait signe de monter. J’hésite, peut-être d’autres passagers vont arriver….. 

Non rien personne, à contre cœur je grimpe, paie et prends place. Cinq minutes plus tard le bus démarre. Je suis seule avec le chauffeur qui roule sans respecter les arrêts. C’est bizarre, mon cœur bat plus fort. Je téléphone à Carole qui à présent doit m’attendre à l’arrêt de bus de la gare, elle va se demander où je suis. Trajet me semble interminable, je stresse tellement que je ne regarde pas le paysage. Pour me rassurer que le chauffeur ne m’oublie pas je me rapproche derrière lui et lui demande si on va bien à la gare. 


Il se met à rire et me répond :<< vous avez peur ?>> 

<<Oui>>dis-je<<je dois rejoindre mon amie et je ne voudrais pas le manquer>> 

<<non, tout va bien on arrive bientôt>><<aller vous rasseoir à votre place. >> 

Je rejoins donc ma place, je ne suis pas plus avancée pensai –je. 

Je regarde ma montre, le paysage, le chauffeur, au-dessus de la porte le plan des arrêts du bus. Heureusement, je suis en France car à Bangkok, j’aurais cru à un enlèvement. A présent je ne reconnais pas la route…. <je stresse>….Pourquoi j’ai voulu prendre le bus au lieu de ma voiture…pourquoi aller me balader en ville un samedi…Dire que Carole voulait venir me rejoindre chez moi et j’ai refusé….. 

Pourquoi ci, pourquoi ça….j’ai peur, .tout se mélange dans ma tête, j’ai mal au cœur, ou vais-je atterrir ? 

Faut-il descendre ? Faut-il continuer ? Que faire ? Je ne peux même pas me renseigner aux autres passagers. Le bus continue son chemin toujours sans arrêt. 

Ma pensée voyage dans le temps. Il me semble bien qu’il y a quelques années, j’avais eu la même peur. 

Mes parents m’avaient mis en pension loin de la maison. Le dimanche soir, je prenais le train avec ma valise pour rentre au lycée. J’étais bien jeune et surtout aucune je n’avais aucune expérience. 

Souvent il n’y avait que très peu de passagers. Mais le plus dur avait été la première fois : maman m’avait inscrit toutes les gares ou le train devait stopper jusqu’à Grenoble. Ma feuille à la main et le nez colle à la vite du train, je contrôlais les gares. J’angoissais à l’idée de manquer mon arrivée. Il faisait nuit, la campagne était sombre et déserte. Je ne parlais à personne. Que ces voyages étaient longs. Quand j’y pense, je me demande comment j’ai pu survivre à ces voyages si stressants. Pourquoi m’avait on abandonnée et je pensais à ma famille réunie bien au chaud tous ensemble et moi toute seule. 

Mais voilà après j’aimais ces petits voyages où je retrouvais mes copines dans le train et nous faisions de bonnes parties de rire avant la semaine de pension. Si j’ai survécu et pris de l’assurance ce n’est pas dans ce bus et en plein jour qui je risque quelque chose. De plus j’ai mon téléphone ce que je n’avais pas en ce temps-là….. 

D’un coup le bus ralentit, puis s’arrête. Encore choquée, je descends, le chauffeur me dit au revoir, j’entends ma voix lui répondre au revoir et merci. 

Carole arrive à ma rencontre souriante et me trouve assez pale. Que t’arrive-t-il ? me dit-elle. Je ne réponds pas de suite. Les rues sont assez calmes. Je m’entends répondre : Que se passe-t-il ? Il y avait plus de monde à Aix. 

Ils font des travaux et du coup certains magasins sont fermés 

Ah si j’avais su ……ma pauvre Carole, je t’aurais fait venir chez moi, j’ai fait un trajet affreux et pourquoi ? Viens, si tu es d’accord, on va boire un bon café et je te raconterai mon voyage et après on décidera de ce que nous ferons. Tu ne vois finalement pas besoin de faire des voyages extraordinaires pour vivre des aventures inoubliables.


Suzanne B

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Seule.

Avant, il existait des bus qui faisaient Marseille-Aix-Pertuis. Des fois même, sans qu’on sache vraiment pourquoi, le bus ne passait même pas dans Aix : Marseille-Pertuis, direct. C’était rapide et c’était pratique, mais ça c’était avant. C’est une des prérogatives de mon âge avançant de pouvoir dire à propos de tout et de n’importe quoi « avant c’était mieux ». 



Aujourd’hui, le trajet entre Marseille et Pertuis doit se faire en deux étapes, avec deux compagnies de bus différentes, qui se garent à deux arrêts distant de presque deux kilomètres… 

Donc, ce soir-là, je remonte de Marseille. Il est entre 17h et 18h, je ne sais pas exactement. J’ai oublié le matin même mon téléphone portable à la maison, je n’ai pas l’heure. Avant c’était mieux, on avait des montres qui donnaient l’heure, on les accrochait à nos poignets et elles n’étaient pas constamment déchargées… 

Le Marseille-Aix me laisse à son terminus, tout en haut de la gare routière. Le Aix-Pertuis a son arrêt tout en bas, en bas, en bas de la gare routière. Et il pleut. Flaques, panier, sac, blouson, écharpe et chien qui tire, je traverse toute cette zone noire de monde. Il faudrait que je renouvelle mon abonnement Aix-Pertuis, trop de monde au guichet, je renonce. Du monde aussi sur les trottoirs de tous côtés. Les chauffeurs s’énervent et klaxonnent, les passagers courent en tous sens… barrières levées, baissées, phares de voiture, passages piétons détrempés… avant c’était mieux, la gare routière était petite et bien organisée, on n’avait pas à courir comme des crétins, mais avec tous ces travaux pour l’agrandir…. Flaques, panier, sac blouson, écharpe et chien qui tire, je vois enfin l’arrêt pour Pertuis, il n’est plus qu’à cinquante mètres. 

Curieusement, il n’y a personne à cet arrêt-là. Je me dis que, probablement, un bus pour Pertuis vient juste de partir. Ce n’est pas grave, je prendrai le suivant, entre 17h et 20h, il y en a un presque tous les quart d’heure. 

Flaques, panier, sac, blouson, écharpe et chien qui tire, je continue à marcher vers l’arrêt. 

Soudain, je le vois au loin, sur l’avenue : un bus « N°100 pertuis-aix, direct par autoroute ». Quelle chance, je n’aurai pas pas trop à attendre. Il roule vers où je me dirige, y arrive quelques secondes avant moi. Je me poste devant ses portes fermées et souris au chauffeur. Les portes s’ouvrent dans un soupir de vérins fatigués. Panier, sac, blouson, écharpe et chien qui tire, nous montons dans le bus. 

« Je ne sais pas pourquoi je suis seule à l’arrêt » dis-je au chauffeur en guise de bonjour. 

Il tourne son visage émacié vers moi, ses yeux sont ronds et profonds, une barbe légère tente d’assouplir ses traits anguleux : « c’est parce que le bus d’avant vient juste de partir » m’annonce-t-il d’une voix caverneuse. 

Il ferme les portes derrière moi, à peine ai-je le temps de m’installer que, tout de suite, il redémarre et quitte l’arrêt. Je suis seule dans ce bus, à un horaire où d’habitude il faut se battre pour avoir une place. Je me sens mal à l’aise tout à coup. 

Pourquoi suis-je seule dans ce bus ? 

Pourquoi n’a-t-il pas attendu d’autres passagers ? 

Pourquoi partir si vite ? 

Me viennent à l’esprit quelques idées farfelues : serais-je victime d’un enlèvement ? Cet homme est-il vraiment un chauffeur de bus ? ne suis-je pas enfermée, prisonnière, avec un dangereux psychopathe ? 

La partie raisonnable de mon cerveau repousse gentiment ces visions sottes et excessives que je sais héritées des névroses maternelles. Il n’empêche, je ne suis pas tranquille. 

Quelques minutes plus tard le bus passe devant un premier arrêt ; personne, il ne s’arrête pas, on continue. Le chauffeur n’a même pas mis la musique. Soudain, une toux roque se fait entendre, je me dis « tiens, en fait, je ne suis pas seule dans ce bus », je relève discrètement la tête pour regarder vers le fond : personne. C’est le chauffeur qui a toussé, et il tousse encore, une de ces toux typiquement menaçantes, expectoration répugnante de la personne qui s’apprête à faire un mauvais coup, j’en suis sûre. 

On roule dans un silence de corbillard. La pendule au-dessus du pare-brise indique 18h03, la pénombre commence à envahir le bus. 

Nous passons devant un second arrêt. Le chauffeur passe si vite que j’ai à peine le temps d’imaginer tous ces gens qui comptaient prendre ce bus, qui ont dû tenter désespérément d’attirer l’attention du chauffeur par de grands mouvements de bras. Et moi, ont-ils pu me voir ? Ont-ils aperçu mon visage inquiet ? J’ai l’impression que ce bus vide est de plus en plus grand et que je rétrécie. Chien serré dans mes bras, je voudrais disparaître au fond de mon panier. 

Comme toujours à cette heure-là, la circulation est chargée, à plusieurs reprises le bus est contraint de ralentir et de s’arrêter. J’avise un de ces petits marteaux mis en place au dessus des fenêtres pour pouvoir casser les vitres en cas d’accident. 

Aurais-je le temps, à la faveur d’un de ces ralentissements, de sauter de mon siège, prendre un marteau, casser la vitre et bondir par la fenêtre avec chien, sac, panier, écharpe et blouson ? 


Et si, prétextant un soudain malaise, je demandais à descendre définitivement de ce bus, tout simplement, au bord de l’autoroute, certes, mais vivante, et hors de portée du psychopathe. 

Et si je m’aperçois que le chauffeur ne prend pas la route de Pertuis ? 

La peur sournoise et oppressante submerge peu à peu ma tête, et mon cœur bat fort dans mon ventre. Que penser ? Que faire ? J’essaye de calmer cette angoisse qui monte, de me concentrer sur elle pour essayer de l’endiguer. Et c’est à ce moment là que vient à mon esprit ce ressenti étrange : je connais cette angoisse, je l’ai déjà vécu. J’ai déjà vécu ça, j’ai déjà été seule, petite, perdue, en danger, malheureuse. 

Pour tenter de comprendre pourquoi je suis seule dans ce bus et trouver ce que je dois faire, sans que je le désire, mon cerveau cherche et passe en revue des réminiscences de ce sentiment : 

- j’ai 5 ans, mes parents m’ont perdu au bord de la mer, je suis seule, je pleure, je marche sur la plage… pourquoi et comment ont-il pu disparaître ? 

- j’ai 44 ans, j’entre dans une église vénitienne, il y a un curé là-bas au fond, tout seul, il dit la messe pour personne, je marche vers lui et l’église grandit, on dirait que je m’enfonce 

- j’ai 17 ans, mon premier amour me quitte, personne ne m’aimera plus jamais 

- j’ai.. je ne sais pas, je suis seule dans un coin, je m’agrippe au rideau et je me met debout, le monde est si différent, si effrayant, et soudain je marche, pour la première fois. Pourquoi personne n’est là pour me tenir la main ? 

- j’ai 20 ans, 25 ans, 32 ans, 37 ans, c’est l’amour, le vrai, le grand, le beau, le seul, l’unique et il se casse la gueule. J’étais donc seule là aussi quand je me croyais deux ? 

- c’est moi aujourd’hui, maintenant, seule toujours, même au fin fond de chaque vibration et de chaque sentiment. Mais où est-il ce frère que la vie me devait ? 

Soudain les lumières de Pertuis. Le bus se range sur le côté droit de la gare routière. Les portes s’ouvrent dans un soupir de vérins fatigués. Je descends. « Au revoir Monsieur, merci ». Il ne répond pas. Les portes se referment brutalement dans mon dos, comme une gifle. Il fait complètement nuit à présent. 

Je marche le long de la petite route au bout de laquelle ma voiture m’attend. Je m’y engouffre. Mon panier. Mon sac. Mon blouson. Mon chien. Je pleure, je ne sais pas pourquoi. Il ne s’est rien passé. Et pourtant tout est là. Tout est remonté des profondeurs obscures. J’ai mal à cette chienne de solitude. Mais ça, ça ne se raconte pas, à personne. Sauf sur le divan blanc où je dois dire « je ».
Nicole


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